Emission du

29/01/08

Thème

Le marché du carbone


Transcription


Cet après midi, nous n’avons pas d’invité. Alain, qui était là la semaine dernière et avait accompagné Edna Civil Blanc, qui avait parlé d’agroforesterie, devait venir avec une autre jeune femme qui allait nous parler de biodiversité, mais elle a eu un empêchement et a demandé de reporter l’émission au mois de février. Ce n’est pas un gros problème, car il y a un thème que je voudrais aborder. En fait, je voulais chercher des informations pour moi-même, mais j’ai pensé que cela pourrait faire l’objet d’une émission; il s’agit du marché du carbone.


On se souvient peut-être que, le 8 janvier, pour la première émission de l’année, j’avais parlé de la Conférence de Bali, en Indonésie, une conférence de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC). L’émission d’aujourd’hui est liée à celle du 8 car cette affaire de marché du carbone sort de toutes les réflexions autour du changement climatique, de réchauffement de la planète, et de tout ce qui peut être fait pour freiner, voire renverser, ce processus.


Pour commencer j’ai trouvé des déclarations qui peuvent venir, comme George Michel l’a dit une fois, in limine litis.


1. On se souvient que, l’année dernière, le Prix Nobel de la Paix a été attribué à Al Gore, pour son fameux film: «Une vérité qui dérange», et au GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) qui collecte toutes les informations scientifiques concernant le changement climatique. Ce groupe affirme que «le réchauffement est indiscutablement et essentiellement du à l’activité humaine».


Il y a, en effet, beaucoup de personnes qui doutent que ce soit l’action de l’homme qui cause le réchauffement. La planète, au cours des millions d’années de son existence, a connu des périodes plus chaudes ou plus froides. On a entendu parler de la première glaciation, de la deuxième glaciation, et des périodes plus chaudes qui les séparent. Autrement dit, ce qui se passe maintenant est tout à fait naturel, du aux astres, … C’est, en fait, une façon de soulager la mauvaise conscience de ceux que l’on accuse d’être responsables du réchauffement.


Le GIEC affirme que non; essentiellement et indiscutablement, ce réchauffement est du aux activités humaines et, pour que la température de la planète n’augmente pas de plus de 2o par rapport à l’ère pré-industrielle, il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) à partir de 2015. Parmi les GES, celui qui donne le plus de problème, c’est le gaz carbonique (CO2).


Mais qu’est-ce que l’effet de serre? J’avais tenté de l’expliquer dans l’émission sur Bali. Le CO2 et certains autres gaz, quand ils sont lâchés dans l’atmosphère, montent en altitude et forment une sorte de cloche tout autour de la planète qui retient toute la chaleur produite par la terre elle-même, faisant monter la température comme dans une serre, qui est une construction vitrée à l’intérieur de laquelle, dans les pays froids, on cultive certaines plantes, en particulier les plantes tropicales. C’est pourquoi on parle d’effet de serre.


2. On dit que le marché du carbone s’affirme comme un moyen efficace de réduire les émissions de GES, en particulier le CO2.


3. Le groupe de la Banque Mondiale veut aider les pays sous-développés à profiter du marché du carbone, pour bénéficier des fonds que ce marché peut dégager, afin de promouvoir une croissance moins polluante.


La vice-présidente de la Banque Mondiale pour les infrastructures publie un article où elle dit qu’il est nécessaire d’étendre les marchés du carbone parce qu’ils sont un vecteur efficace pour les investissements favorables à l’environnement. Elle parle de l’engagement des pays du G 8, les 8 pays les plus industrialisés, qui se réunissent régulièrement: 2005 en Ecosse, 2007 en Allemagne. Les grands de ce monde veulent favoriser le financement à travers le marché du carbone pour aider le développement et maîtriser la déforestation dans les pays sous-développés.


Mais qu’est-ce que la marché du carbone? Au départ, il y a le Sommet de la Terre, à Rio, en 1992, où on a créé la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC). 192 (ou 198?) pays ont signé cette Convention Cadre. 5 ans plus tard, à la Conférence de Kyoto, 176 états signent le Protocole de Kyoto, qui est contraignant pour les 36 états hautement industrialisés ou en transition (Brésil, Chine, Inde … ) qui ont obligation de limiter leurs émissions de CO2.


Mais ce n’est pas l’état en soi qui émet du CO2, ce sont les entreprises. Ce sont elles, en particulier celles qui produisent de l’énergie soit à partir du charbon, soit à partir de dérivés du pétrole, qui sont les grands producteurs de CO2. Il faut donc que ces entreprises réduisent leurs émissions. Il existe des technologies pour cela, mais elles ont un coût. Il y a donc des pénalisations pour celles qui ne le font pas.


En Europe, 11-12.000 entreprises ont été identifiées, auxquelles on a donné le niveau de réduction qu’elles doivent atteindre. Pour rendre la pilule moins amère, on a développé un système d’échange. Pour les entreprises qui réduisent leurs émissions, on prévoit un crédit correspondant à la réduction. Ce crédit peut être échangé avec une autre entreprise qui n’a pas réduit ses émissions. Le crédit est exprimé en Unités de Réduction Certifiée des Emissions (URCF). Le pollueur qui n’a pas respecté les réductions qui lui sont imposées peut acheter des URCF de celui qui a réduit ses émissions.


A partir du moment qu’il y a échange, on est dans le commerce, on a un marché, le marché du carbone. Cela va encore plus loin; il y a maintenant une bourse du carbone. Ne me demandez pas ce qu’est une bourse, je n’y connais rien. Je sais seulement que la bourse est l’institution où se retrouvent ceux qui veulent acheter ou vendre des actions d’une entreprise. Je sais aussi que, si une entreprise accuse de bons résultats, la valeur de ses actions augmente, si, par contre, elle périclite, ses actions perdent de leur valeur.


Ces derniers temps, on a beaucoup parlé de bourses. Les actions des entreprises nord-américaine, en général, ont baissé, et, comme toutes les bourses dans le monde sont liées, les actions ont baissé à travers le monde, au point qu’on a craint un krach financier comme celui de 1929. L’origine de ce mouvement remonte à des crédits immobiliers accordés à des personnes à des conditions très avantageuses. Mais ces emprunteurs ont tellement pris de crédit, que finalement ils n’ont pu faire face à leurs obligations, mettant les banques dans des situations critiques; leurs actions se mises à tomber et on a eu une réaction en chaîne qui s’est étendue à travers le monde.


Il y a donc, en Europe, des bourses du carbone, où on n’échange pas des actions, mais des «crédits carbone». Il n’y en a pas aux Etats Unis, pour la simple et bonne raison que les USA n’ont pas signé le Protocole de Kyoto; ils n’ont donc pas fait à leurs entreprises l’exigence de réduire leurs émissions de CO2. Il n’y en a pas non plus au Canada, mais j’ai trouvé beaucoup de textes où on étudie les moyens de régulariser un marché du carbone.


J’ai trouvé dans un article la réflexion suivante: «Qui aurait cru qu’un jour la protection de l’environnement et les marchés pourraient faire bon ménage?» et l’auteur poursuit: «C’est pourtant ce qui arrive avec les bourses de carbone dans le monde». De fait, au départ, cela parait étrange, mais le système capitaliste a trouvé un créneau dans lequel il s’est engouffré.


Le marché du carbone peut cependant aussi poser des problèmes. En Europe, 12.000 entreprises ont reçu un quota limite d’émission de CO2 d’ici 2012, car le Protocole de Kyoto signé en 1997 pour 15 ans reste en vigueur jusqu à 2012 - c’est pourquoi, à la Conférence de Bali, il s’agissait de préparer un nouvel accord qui entrerait en vigueur en 2012. 6 pays: la Hollande, la Belgique, la France, l’Espagne, la République Tchèque et l’Estonie ont réduit leurs émissions au-delà de ce qui leur avait été imposé. Résultat, il y a eu moins de demande de «crédits carbone» et la valeur de la tonne de carbone est tombée. On estime que la réduction qui avait été imposée aux entreprises était trop faible, probablement parce qu’on ne voulait pas les obliger à faire de gros investissements; et elles ont dépassé les résultats attendus.


Tout cela, bien sur, c’est pour les pays avancés, mais il y a quand même quelque chose pour nous là-dedans. J’ai cité le groupe de la Banque Mondiale qui parle de faciliter l’accès des pays sous-développés aux financements que le marché du carbone peut dégager. Nous avons vu qu’une entreprise, qui ne respecte pas les réductions d’émissions qu’on lui a imposées, peut acheter des «crédits carbone» chez une autre entreprise qui aurait obtempéré; mais il y a une autre formule.


Supposons qu’un pays sous-développé, Haïti par exemple, entreprenne un programme de reboisement sérieux. Je pense au bassin versant de la Grande Rivière du Nord. Il y avait un système d’irrigation dans la plaine de Quartier Morin qui était alimenté par un barrage sur la Grande Rivière du Nord, un peu en aval du bourg de la Grande Rivière du Nord. Avec la dégradation du bassin versant, avec l’érosion, les alluvions ont ensablé le barrage et l’ont finalement détruit. Il n’y a donc plus d’irrigation.


Depuis longtemps, on parle de reconstruire le barrage; il y avait un projet de l’Union Européenne qui prévoyait aussi des travaux d’aménagement du bassin versant. Le projet ne s’est pas réalisé; on en reparle de temps en temps, mais on ne dit mot du bassin versant; pourtant l’argent qui servirait à reconstruire le barrage serait simplement de l’argent jeté, si on ne fait rien sur le basin versant. Mais il s’agit d’une superficie très importante, le coût de l’aménagement sera donc très élevé.


L’idée est la suivante: supposons que l’on reboise toute cette superficie; à terme, ces arbres vont absorber du CO2, comme si on avait une usine qui réduise ses émissions de CO2. On peut donc aller sur le marché du carbone et vendre des «crédits carbone» correspondant à la valeur de CO2 que ces arbres vont absorber, et ces crédits permettront de financer l’aménagement du bassin versant. Finalement, le marché du carbone peut permettre de financer les activités de reboisement, qui, comme on le sait, sont très coûteuses, car il faut bien que celui qui sera engagé dans ces activités, le paysan des mornes, reçoive une compensation; il n’a en effet aucun intérêt immédiat à reboiser; le reboisement intéresse en premier lieu celui qui vit dans la plaine et est victime des alluvions, ou ne reçoit plus d’eau dans ses canaux d’irrigation.


C’est la raison pour laquelle je tenais à m’informer sur cette affaire de marché du carbone, car si nous arrivons à surmonter toutes les complications liées à ce mécanisme nous serions sauvés: nous stoppons l’érosion, nous protégeons nos systèmes d’irrigation, et nous recevons de l’argent pour le faire, et je ne parle pas seulement de la Grande Rivière du Nord.


Pour finir, deux informations:

1. le ministre français de l’environnement, Jean-Louis Borloo, a signé une convention avec les compagnies aériennes et les constructeurs d’avions qui s’engagent à réduire de 50 % les émissions de CO2 et le bruit d’ici 2020.

2. l’émirat d’Abu Dabi, qui contrôle 10 % des réserves mondiales de pétrole, a décidé de construire, en plein désert, une ville qui sera totalement écologique.