La souveraineté alimentaire

 

Une période d’intense activité au niveau professionnel (on était dans le lancement de la nouvelle année fiscale) m’avait obligé à interrompre la série que j’avais entamée sur la problématique des bassins versants [1] ; aujourd’hui, mon ami Chavannes Jean-Baptiste m’offre une belle occasion d’y revenir.

 

Je fais allusion à cette série de manifestations annoncée dans un bulletin de AHP en date du 11 décembre 2008 : Un groupe d'organisations annonce une série d'activités pour porter les Haïtiens à œuvrer à la relance effective de la production nationale et assurer la sécurité alimentaire dans le pays.

 

On nous y apprend que : De son côté, le responsable du Mouvement des Paysans de Papaye (MPP), Chavannes Jean-Baptiste, a annoncé la mise en circulation au niveau national d’une pétition, contre le projet de la production agro-carburant. Selon M. Jean-Baptiste, il est inacceptable d’utiliser les terres arides pour la production de carburant, dans un pays où la grande partie des produits alimentaires consommés par la population sont importés. Il invite tous les citoyens à se mobiliser contre l’application de ce projet.

 

Je crois utile que, avant d’entrer dans le sujet lui-même, nous fassions un peu le point sur les concepts de sécurité et de souveraineté alimentaire. Pour cela nous utiliserons un document non encore publié, mais dont l’auteur a eu l’amabilité de me communiquer une version provisoire [2].

 

Pour commencer, la distinction entre les deux concepts : Tandis que la Sécurité Alimentaire met le focus strictement sur l’agriculture et l’élevage, la Souveraineté Alimentaire élargit son champ d’investigation à la gestion des ressources naturelles pour embrasser l’ensemble de la société.

 

Entrons maintenant un peu plus dans les détails.

 

Le concept de Sécurité Alimentaire fait référence à la disponibilité ainsi qu’à l’accès à la nourriture en quantité et en qualité suffisantes. Elle comprend quatre (4) dimensions:

1-      disponibilité (production interne, capacité d’importation, de stockage et aide alimentaire);

2-      accès (dépend du pouvoir d’achat et de l’infrastructure disponible);

3-      stabilité (des infrastructures et stabilité climatique et politique);

4-      salubrité, qualité (hygiène).

 

Le concept de Souveraineté Alimentaire a été introduit en 1996 à Rome par Via Campesina. « La souveraineté alimentaire est le droit des peuples de définir leurs propres politiques en matière d’alimentation et d’agriculture, de protéger et de réglementer la production et le commerce agricoles intérieurs afin de réaliser leurs objectifs de développement durable, de déterminer dans quelle mesure ils veulent être autonomes et de limiter le dumping des produits étrangers sur leurs marchés. » (La Via Campesina)

 

Lors de ma participation à la Conférence Internationale sur la Reforme Agraire et le Développement Rural (CIRARD), organisée par la FAO, en 2006, à Porto Alegre (Brésil), j’avais eu l’occasion de rencontrer des représentants de Via Campesina et d’apprécier la qualité de leur prestation. Je signale tout de suite qu’il y a, en Haïti, au moins une institution membre de Via Campesina : le MPP.

 

 

 

Nous aurons certainement l’occasion de reparler de sécurité et de souveraineté alimentaire ; pour le moment, je veux m’arrêter à la première dimension citée par Tony Cantave : la disponibilité. Elle dépend de trois facteurs : la production interne, les importations et l’aide alimentaire. En Haïti, avant que le quadrige de cyclones ne s’abatte sur nous, la production interne ne couvrait que 47 % des besoins de la population. La balance était donc comblée par les importations et l’aide alimentaire.

 

C’est cette situation qui fait dire à Chavannes Jean-Baptiste que nous sommes un peyi restavèk, ou selon une expression que l’on entend souvent : « vant nou nan men blan ». Il est donc tout à fait compréhensible que de nombreuses voix s’élèvent pour demander une augmentation de la production interne d’aliments, pas seulement pour des raisons de fierté nationale ou de respect pour nos coutumes alimentaires, mais aussi, bien plus prosaïquement, parce que les importations pèsent sur notre balance commerciale et que les produits importés coûtent plus cher, ce qui a un impact sur la deuxième dimension mentionnée par Tony Cantave : l’accès aux aliments.

 

C’est dans cette logique que Chavannes proteste contre le projet de production d’agro-carburants. Il y a pourtant un hic. Les agro-carburants sont certainement à bannir, quand ils entrent en compétition avec la production alimentaire. Il y a cependant de grandes quantités de terre qui sont impropres à la culture vivrière. Et c’est là que nous revenons à la problématique des bassins versants.

 

Nous devons nous tourner vers le concept de vocation des terres. Les terres de montagne sont impropres aux cultures sarclées et devraient rester réservées à l’agroforesterie ou aux systèmes agro-sylvo-pastoraux, une combinaison de forêts, de cultures vivrières et de pâturages. Il n’y a alors pas de problèmes à réserver de telles terres à la culture du jatropha, ou gro medsiyen. Je comprends d’autant moins la position de Chavannes que, du moins selon AHP, il dit : « il est inacceptable d’utiliser les terres arides pour la production de carburant ».

 

De toute manière, il n’y a aucune raison de faire une fixation sur le jatropha ; il existe d’autres manières de cultiver les terres de montagnes sans mettre en danger l’environnement. Avant que Tanguy Armand ne parle de planter du jatropha sur les pentes surplombant la rivière de Montrouis, j’avais un autre rève pour la Chaine des Matheux. Je voulais en couvrir les pentes de benzolive.

 

Beaucoup de gens ouvrent de grands yeux, quand je parle de benzolive (certaines personnes disent doliv) ; pourtant on le voit tous les jours sans y prêter attention. Le benzolive est un arbre de taille moyenne, qui s’accomode de sols semi-arides, avec un feuillage fait de feuilles composées, comme le flamboyant, de belles fleurs blanches dont on fait des infusions pour la grippe. On en mange aussi les jeunes feuilles.

 

Mais la grande qualité du benzolive est que ses grandes gousses, qui curieusement ne sont pas faites de deux mais de trois écorces, contiennent des graines riches d’une huile qui, bien extraite, est parfaitement comestible. Mon idée était que, en couvrant les mornes de benzolive, non seulement on faisait du reboisement, mais en même temps on substituait, par une huile produite localement, donc créatrice de valeur ajoutée, les huiles importées qui représentaient, à l’époque le poste le plus important de nos importations alimentaires.

 

Il y a certainement d’autres formules, dont les forêts énergétiques, qui sont un autre de mes dadas, et nous aurons l’occasion d’en reparler.

 

Bernard Ethéart

Haïti en Marche, Vol. XXII, No. 47, du 17 au 23 décembre 2008



[1] Voir Haïti en Marche # 38 - 44

[2] Tony Cantave : Gouvernance et droit à l’alimentation, octobre 2008