Les OMD (3)

Cette semaine je voudrais m’arrêter au second sur la liste des Objectifs du Millénaire pour le Développement (voir HEM, Vol. 24, # 23 et 24) dont je rappelle la formulation :

Objectif 2 : assurer l’éducation primaire pour tous.

Cible : D’ici à 2015, donner à tous les enfants, garçons et filles, partout dans le monde, les moyens d’achever un cycle complet d’études primaires.

Au risque de passer pour un grand naïf, je ne peux m’empêcher de penser que cet objectif est vraiment trop « modeste ». En effet, le rapport 2010 nous apprend que « L’espoir pour une éducation universelle d’ici 2015 diminue, malgré le fait que beaucoup de pays pauvres font des progrès énormes. La scolarisation est toujours en hausse dans l’enseignement primaire, au point d’atteindre 89 % dans le monde en développement. Mais elle ne progresse pas à un rythme suffisant pour garantir que tous les enfants, garçons et filles, termineront un cycle primaire complet d’ici 2015 ».

Et pourtant qu’est-ce que l’éducation primaire ? L’éducation fondamentale, me répondra-t-on, utilisant la formule consacrée officiellement depuis quelques années. Justement l’éducation de base qui doit permettre d’acquérir d’autres connaissances, d’autres savoir faire, indispensables dans la vie quotidienne.

Restons dans la logique des OMD. Je reprends quelques passages du Rapport 2010 que j’ai cité il y a deux semaines : « La pauvreté et le manque d’éducation perpétuent les taux élevés de naissance chez les adolescentes », ou « Le recours à la contraception est particulièrement bas chez les femmes les plus pauvres et celles qui n’ont pas reçu d’éducation », ou encore « Beaucoup de jeunes n’ont pas toujours les connaissances nécessaires pour se protéger du VIH ». Autrement dit, l’éducation, mais pas seulement l’éducation primaire, est un élément important pour atteindre les objectifs 4, 5 et 6, centrés sur la mortalité infantile, la santé maternelle, la lutte contre le VIH/sida, le paludisme est d’autres maladies.

Je n’oublierai jamais mon étonnement quand j’ai, pour la première fois, entendu une jeune femme me dire qu’elle prenait une gélule d’antibiotique après chaque menstruation, « pour nettoyer son sang » ! Voilà une femme qui a terminé le cycle secondaire, qui a passé par une école de secrétariat, qui était appréciée par son employeur, mais n’avait aucune idée de sa propre anatomie, du cycle menstruel et encore moins du mode d’action des antibiotiques.

Mais le domaine sur lequel je voudrais insister c’est l’éducation professionnelle et là encore je me place dans la perspective post séisme. Je crois l’avoir déjà dit ; tout le monde est d’accord pur admettre que si le séisme a été si meurtrier c’est à cause de la trop grande concentration d’une population misérable dans la zone métropolitaine. Par conséquent une mesure urgente à prendre c’est la création d’emplois en dehors de la zone métropolitaine, en particulier dans le secteur agricole.

La semaine dernière j’ai signalé que le Ministère de l’Agriculture, dans son Plan d’Investissement pour la Croissance su Secteur Agricole, envisage des mesures de création d’emplois dans les infrastructures agricoles, dans les bassins versants, sans parler d’une intensification de la production agricole, mais tout cela suppose que les personnes appelées à occuper ces emplois reçoivent la formation indispensable à l’exécution correcte des tâches prévues.

Bien sur, les auteurs du Plan d’Investissement y ont pensé : « A la suite du séisme de 12 Janvier 2010, plus de 1.3 million de personnes des zones urbaines sont restées sans abris, dont 600,000 se sont déplacées vers d’autres Départements. Il est souhaité par le gouvernement qu’une partie de ces personnes puisse s’installer de manière définitive en zone rurale afin de limiter l’engorgement de Port au Prince. Cette installation nécessitera de pouvoir transférer à ces populations urbaines les compétences agricoles nécessaires à une mise en valeur optimale des terres agricoles et renforce encore la nécessité de mettre en place des programmes de formation agricole efficaces ».

Ce transfert des compétences doit se faire « à travers la mise en place de l’approche Champs Ecole Paysan (CEP) et des écoles pratiques d’agriculture et de vie pour les jeunes (JFFLS) ».

Etant donné qu’il s’agit de concepts nouveaux, au moins pour moi, je pense nécessaire de reproduire le paragraphe suivant : « L'approche CEP utilise au niveau de l’agriculteur et du formateur, les techniques non-formelles ou « d’apprentissage par la découverte »; elle implique des groupes d'environ 25-30 agriculteurs qui se réunissent régulièrement (généralement ½ journée par semaine) sur le champ tout au long d’une saison entière de culture. Les séances se focalisent sur le développement des compétences des agriculteurs afin d’améliorer la gestion agricole, particulièrement les connaissances des pratiques intensives durables telles que l'agriculture de conservation, la gestion de la fertilité des sols, le contrôle non toxique des ravageurs, la collecte/conservation de l’eau. L'approche prend en compte le système « entier », notamment des sujets liés à la gestion économique dont la comptabilité, l’accès au crédit rural et l’analyse du marché local / régional, et la gestion des ressources naturelles liés à celle des eaux et des sols ».

Autant pour l’approche CEP, mais, en ce qui concerne les écoles pratiques d’agriculture et de vie pour les jeunes (JFFLS), le Plan d’Investissement est très avare de détails ; je me demande s’il ne s’agit pas d’un remaniement des anciennes écoles moyennes dont j’avais entendu dire qu’on allait les redynamiser.

Pour terminer, il y a un aspect important que je voudrais signaler à propos de cette formation professionnelle pour les agriculteurs. En dehors des considérations purement économiques, il y a le côté, disons, psychologique qu’il ne faut pas négliger. On sait que l’une des causes de l’exode rural est la désaffection des jeunes pour l’agriculture, et souvent ce sont les parents mêmes qui poussent les jeunes à partir. Un paysan m’a dit qu’il ne voulait pas que son fils vive dans mes mêmes conditions que lui. Mais attention, cette désaffection n’a pas que des raisons économiques, car en plus de fait que l’agriculture ne nourrit pas son homme, elle est aussi dévalorisée.

Et j’en viens à cette interview informelle que j’ai faite avec un paysan. A la question : « quel métier exercez-vous ? », il répond : « je n’ai pas de métier ». A la question : « que faites-vous pour vivre ? », il répond : « l’agriculture, mais ce n’est pas un métier, car je ne l’ai pas apprise ». Tout ceci pour dire qu’une formation professionnelle formelle des agriculteurs peut contribuer à revaloriser la profession et contribuer à l’apparition de cette nouvelle classe d’entrepreneurs agricoles que tous réclament.



Bernard Ethéart