Encore un coup de l’impérialisme

 

La semaine dernière (voir : Le « Plan Lanmò », in : Haïti en Marche, Vol. XXIII, No. 24, du 8 au 14 juillet 2009), je disais, en parlant des critiques du collectif « 4 G Kontre » à l’égard de toute idée de production de bio-diesel en Haïti, que derrière le mot « plan », il y avait l’idée d’une conjuration internationale menée par « l’impérialisme » au seul profit des grandes puissances. Et de rappeler, comme l’a fait Doudou Pierre Festile lors d’une de ses interventions, les expériences malheureuses que nous avons faites avec le sisal et la « corne cabrit ».

 

Pour étayer cette thèse, la brochure : « Agwokabiran, Pwojè Lanmò, pwojè anti peyizan ak anviwònman » distribuée aux participants par le collectif « 4 G Kontre » rappelle que ce projet de production de bio-carburant serait parti de George Bush, qui en aurait parlé à Lula – le Brésil étant le deuxième producteur d’agro-carburant après les Etats Unis – lequel aurait convaincu René Préval de l’intérêt que cette production pourrait représenter pour Haïti.

 

On a eu du reste une présentation qui était tout à fait dans la ligne d’une production orientée vers la satisfaction des besoins des pays industrialisés. M. Eduardo Almeida, de la BID, est venu en effet, comme il l’a dit lui-même, présenter la perspective du secteur privé, mais attention il s’agit du secteur privé des pays industrialisés.

 

M. Almeida commence par identifier ce qu’il appelle « les trois lignes d’affaire », à savoir :

∙          la production agricole,

∙          la production d’huile,

∙          la production de bio-diesel.

 

A partir de là, il a insiste a pour que Haïti s’arrête à la deuxième étape : la production d’huile, et ce pour satisfaire les besoins de l’industrie de bio-diesel des pays industrialisés. Il existe dans ces pays, selon lui, une forte demande pour l’huile parce que le volume de production de bio-diesel est loin de remplir la capacité de production. Ils ont, en effet, beaucoup investi dans des installations de transformation de l’huile en bio-diesel et ne trouvent pas suffisamment d’huile pour amortir ces investissements.

 

On peut cependant identifier une autre approche. Elle a été exposée par Alexis Hurtaut du GAFE (Groupe d’Action Francophone pour l’Environnement) qui a parlé des projets qu’ils mènent à Nouvelle Touraine et Belle Fontaine, dans la commune de Kenscoff.

 

Si on reprend les trois lignes d’affaire d’Almeida, on dira, pour la production agricole, que le gwo medsiyen est cultivé sur des terres dénudées, probablement couvertes autrefois de pin, en bordure de chemins, etc ; la production d’huile est faite localement, à partir d’équipements relativement simples, mais cette huile sert à la consommation locale. On a déjà mentionné qu’elle peut servir à produire de l’électricité avec des moteurs type Lister à révolution lente, mais elle peut tout bêtement être utilisée dans nos lampes à kérosène classiques ou dans des réchauds pour faire la cuisine, avec l’avantage qu’elle ne produit pas cette fumée noire tellement salissante du kérosène.

 

L’expérience de Kenscoff n’est pas unique en Haïti. On a pu entendre parler du projet PINHAB (Partenaires pour une Industrie Haïtienne du Biodiesel) aux Gonaïves, d’un projet de culture de jatropha à Lohmond et à Jérémie, du projet Jatropha Pepinyè de Terrier Rouge et même d’un projet binational de l’Instituto Dominicano de Desarrollo Integral dans les communes de Cerca-la-Source, en Haïti, et Pedro Santana en République Dominicaine.

 

Cela nous mène donc à identifier les différences entre les cultures introduites en Haïti durant la première moitié du siècle dernier et celle dont nous parlons aujourd’hui.

 

Le premier élément à retenir est l’organisation de la production. Au siècle dernier, on a assisté à l’installation de grandes exploitations sur des terres attribuées par l’Etat, après que les paysans, qui les cultivaient jusqu’alors, en aient été chassés de manière plus ou moins brutale. La culture du jatropha, par contre, s’accommode très bien de la petite exploitation paysanne. Jean-Robert Estimé a décrit l’organisation de la production à Madagascar, où les graines produites par le petit paysan sont collectées et traitées dans plusieurs centres locaux de production d’huile qui, à leur tour, alimentent une installation plus sophistiquée qui produit le bio-diesel.

 

Signalons en passant que cette formule permet de créer une première valeur ajoutée au niveau du paysan lui-même, ce qui n’est pas le cas pour le sisal ou le caoutchouc.

 

Un second élément est le marché auquel s’adresse cette production. Dans le cas du sisal et, encore plus, du caoutchouc, on produit exclusivement pour le marché extérieur, avec le danger qu’on n’ait plus les moyens d’écouler la production, le jour où le produit n’est plus demandé. Dans le cas du jatropha, on peut écouler l’huile sur le marché extérieur, comme M. Almeida nous conseille fortement de le faire, mais on produit aussi pour le marché intérieur ; et si on fait l’effort de passer à la seconde transformation – la production de bio-diesel – le  marché intérieur peut très bien absorber toute la production.

 

Autrement dit, même quand l’idée de lancer la culture du jatropha est entachée du péché originel d’avoir germé dans le cerveau de M. Bush, nous avons peut-être, pour une fois, l’occasion de tourner à notre avantage une initiative qui au départ, n’était pas dans notre intérêt.

 

Il reste cependant une question que les opposants au jatropha agitent beaucoup, c’est celle de la disponibilité de la terre ; c’est un aspect qui me touche particulièrement, et dans un prochain article nous tenterons de faire le point là-dessus.

 

 

Bernard Ethéart

Haïti en Marche, Vol. XXIII, No. 25, du 15 au 21 juillet 2009